Samuel Koechlin
15 janv. 2024
Calculer les contraintes dans une structure est aujourd'hui à la portée de tout mécanicien. Mais c'est bien loin d'être suffisant pour dimensionner une structure mécanique : il faut déterminer si ces contraintes sont acceptables ou non en fonction des caractéristiques du matériau, de son évolution dans le temps, de son environnement, etc.
La directive FKM propose depuis 30 ans une démarche méthodique de dimensionnement pour les pièces métalliques, qui lui vaut d'être aujourd'hui reconnue dans le monde entier pour justifier les dimensionnements dans l'industrie mécanique.
Pourquoi la directive FKM?
A la différence des secteurs industriels où règne la grande série (comme l'industrie automobile), dans la plupart des autres domaines de l'industrie mécanique, une validation de conception basée sur des essais est beaucoup trop coûteuse et longue.
La validation de conception doit donc se faire essentiellement par le calcul. Pour cela, les logiciels de calcul de structure permettent aujourd'hui à n'importe quel ingénieur débutant de calculer un champ de contrainte à partir d'un chargement bien défini. Mais la preuve qu'une conception satisfait les exigences du cahier des charges requiert beaucoup plus qu'une simple valeur de contrainte locale maximale.
Il faut en particulier savoir :
quelles valeurs de contrainte admissible utiliser? celles-ci peuvent provenir de sources dispersées, parfois contradictoires et souvent mal documentées.
quelle méthode pour prendre en compte les nombreux paramètres de dimensionnement (qui vont bien au-delà d'un simple torseur d'effort à injecter dans un solveur éléments finis).
Afin de répondre à ce besoin, la directive FKM "Rechnerischer Festigkeitsnachweis von Maschinenbauteilen" est parue pour la première fois en Allemagne en 1994. Plusieurs éditions se sont succédées depuis, et elle est disponible en allemand et en anglais.
Les méthodes de dimensionnement statique et en fatigue sont présentées de façon très structurée, et des données complètes sont fournies pour une très grande variété de matériaux : acier, aluminium et fonte. Quoiqu'elle n'ait pas à proprement parler le statut de norme comme l'Eurocode pour le bâtiment et le génie civil, cette directive sans équivalent dans l'industrie mécanique a acquis dans les faits une reconnaissance internationale, bien au-delà du monde germanophone.
Ce que vous avez toujours voulu savoir sans oser le demander!
Pour justifier qu'une pièce résiste aux sollicitations, l'ingénieur est rapidement confronté aux questions suivantes :
Les taches rouges sur mon modèle éléments finis : puis-je les ignorer ou faut-il les prendre en compte?
L'utilisation de la contrainte équivalente de Von Mises est bien commode (à vrai dire, on ne saurait pas trop quoi faire d'un tenseur!); mais est-elle justifiée?
Quelle est la contrainte admissible pour ce matériau? pour ce type de chargement?
Qu'en est-il du comportement non-linéaire de mon matériau (par exemple de la fonte grise)?
Comment définir mon facteur de sécurité? (pas de définition unique!)
Choix du facteur de sécurité : quelque part entre 1,0 et xxx?
Comment tenir compte de la taille de ma pièce, de la rugosité, du traitement thermique, etc ?
Comment prendre en compte un nombre de cycles de charge limité?
Etc.
La liste n'est pas exhaustive. Mais c'est à ces questions que répond précisément la directive FKM.
Remarques générales
On justifie la résistance de la pièce à la fois et indépendamment en statique (vis-à-vis d'un chargement exceptionnel) et en fatigue (vis-à-vis d'un chargement variable au cours du temps).
En outre, on peut choisir d'utiliser soit les contraintes nominales, telles qu'on les obtient typiquement par un calcul analytique (de résistance des matériaux), soit les contraintes locales, telles qu'elles sont données en général par un calcul éléments finis.
Mais l’enchaînement des étapes est similaire dans les deux cas.
Enfin, deux types de procédures sont proposées : l'une pour les pièces massives, l'autre pour les pièces soudées.
La partie la plus délicate reste sans doute le choix de la bonne valeur de contrainte à injecter dans la procédure. On doit impérativement comprendre en détail :
l'état de contrainte
et son évolution dans le temps.
Pour le calcul en fatigue en particulier, dans le cas d'efforts combinés, on doit savoir s'il s'agit d'un chargement proportionnel ou pas. Il est possible de traiter le chargement non-proportionnel d'un arbre soumis à un couple constant et à une flexion rotative, tel qu'on le rencontre couramment dans les transmissions (à poulies ou engrenages).
Si l'on dispose d'un historique de chargement, il est possible d'en déduire un spectre de chargement qui est ensuite injecté dans le calcul en fatigue.
Par contre, les chargements en vibrations aléatoires (PSD) ne sont pas traités. C'est une des raisons qui explique que cet directive FKM ne soit pas utilisée dans l'industrie aéronautique.
Description d'un dimensionnement statique
Description d'un dimensionnement en fatigue
Spécificités de la méthode
Elle n'utilise que des résultats de calcul linéaire élastique.
Chaque type de contrainte (par exemple flexion et torsion) est traité indépendamment. Leur combinaison n'intervient qu'à la dernière étape de la procédure, sur les "taux d'utilisation" individuels.
Les différentes définitions possible de la contrainte maximale admissible en fatigue sont intégrées dans le facteur de contrainte moyenne (K_AK).
En prenant en compte le gradient de contrainte à proximité des zones de concentration de contraintes, on lisse les pics de contrainte dans le calcul de fatigue.
Le calcul statique autorise une plastification partielle; sauf pour des géométries simples, un calcul élasto-plastique est alors nécessaire.
Un partie importante du document contient une base de données matériaux étendue, avec tous les paramètres matériau nécessaires.
Le calcul en fatigue utilise des courbes S-N génériques pour chaque classe de matériaux.
Conclusion
Quoique touffue et complexe au premier abord, cette méthode permet une justification rigoureuse du dimensionnement mécanique, à la fois dans la phase de conception, et auprès des clients souvent difficiles à convaincre par des calculs "maison". La richesse de la base de données fournie pour l'acier, l'aluminum et la fonte est également un atout considérable.
Ses limitations sont actuellement l'absence de données sur des métaux moins courants (titane, magnésium,...), et les vibrations aléatoires. Une procédure spécifique a été récemment éditée séparément pour traiter la fatigue oligocyclique en prenant en compte les effets de plastification locale.
Références
FKM (Forschungskuratorium Maschinenbau), Analytical Strength Assessment of Components, VDMA Verlag, 7th revised edition, 2020
FKM (Forschungskuratorium Maschinenbau), Rechnerischer Festigkeitsnachweis unter expliziter Erfassung nichtlinearen Werkstoffverformungsverhaltens, VDMA Verlag, 1. Auflage, 2019
S. Koechlin, FKM Guideline : strengths, limitations and experimental validation, 6th Fatigue Design conference, 2015